Association des amis de l'atelier du temps passé

Dossier technique : restauration traditionnelle présentée par Harmony JAMOUIE

Jésus chassant les marchands du temple

Œuvre anonyme du XVIIè appartenant à la ville de Liège Identification

Identification : "Jésus chassant les marchands du Temple" est une oeuvre anonyme appartenant à la ville de Liège et fait actuellement partie du Fond "Art Ancien", et est conservé au Musée d'Art Moderne, Parc de la Boverie à Liège.

Histoire matérielle

Entreposée dans les sous-sols du Musée d’Art Moderne, la peinture s’était acclimatée à ce lieu de conservation, sec et particulièrement sombre.

Dès les premiers examens à l’oeil nu, plusieurs interventions antérieures sont visibles : une série de repeints majoritairement présents dans les décors architecturaux, d’autres dans le vêtement du Christ, ainsi que tout au long du joint central.

Des inscriptions apparaissent au revers du support :
plusieurs numéros d’inventaire :

  • "23", chiffre tamponné à l’encre, au pochoir -coin supérieur senestre
  • "301", manuscrit sur une étiquette collée dans le coin supérieur dextre
  • "AA148/8857/840", manuscrit au marqueur noir
  • "840", se rapportant à l’inventaire de 1960, coin inférieur dextre

Les dimensions manuscrites apparaissent dans le bas du tableau "0,88 x 057". Elles ont été vérifiées et sont exactement de 88 x 57 x 1,5 cm.

L’identification de la scène est manuscrite à mi-hauteur "INCONNU JESUS CHASSANT LES MARCHANDS DU TEMPLE". Cette inscription a déjà été dégagée par un nettoyage de surface, probablement lors du recensement qu’à effectuer le Musée d’Art Moderne pour les tableaux provenant du Musée d’Art Ancien.

Cette fois, l’élément iconographique, la position occupée par le Christ, personnage majeur, apparaît "coupée" et "décalée" par rapport au centre de la composition. Un des deux personnages de l’arrière plan (dans le dos du Christ) se trouve ainsi "amputé" d’une partie du corps. Deux hypothèse pourraient expliquer cette anomalie dans la composition :

Une première liée au style "renaissant", on sait que les scènes bibliques étaient prétextes à l’étude des décors architecturaux. Cette théorie permettrait d’expliquer la position centrale du Temple. Focalisation accentuée par la trouée de lumière et la présence appuyée de l’architecture en perspective. Ce parti pris laisse peu de place aux personnages.

Une seconde pourrait simplement provenir d’un changement de format pour répondre à :

  • une modification due aux goûts des propriétaires
  • la réduction du format pour permettre à l’oeuvre de rentrer dans un cadre de dimensions inférieures
  • la dégradation du panneau (due à des attaques de vrillettes etc...)

En examinant la zone du tableau attaquée par les vrillettes ainsi que la fragilisation de la couche picturale, on relève la présence de barbes sur les bords du tableau en dehors du bord senestre.

Ces traces apparaissent lors de la mise en oeuvre du tableau, lorsque l’artiste peint sur une surface encadrée. L’excédent de peinture va alors se loger contre l’encadrement et forme des barbes présentes sur les quatre bords du tableau. Un bord du tableau en étant dépourvu, on pourrait attester d’un changement de format.

État de conservation

Dès la réception du tableau, les écailles, principalement situées le long du joint central, ont du être refixées à l’aide de cire.

Six lacune lacune Perte de matière picturale nécessitant une réintégration de l’ordre d’un centimètre sur deux, ponctuent le haut et le bas du tableau. La perte de matière picturale est variable de l’une à l’autre, allant d’un peu de matière picturale, à la mise à nu du support bois.
Des pertes de couche picturale et de support, situées tout au long du bord sénestre, à la hauteur du Christ, ont elles aussi besoin d’être refixées.

Plusieurs retouches débordantes sont nettement visibles sous ultraviolet, dans la partie supérieure gauche du tableau ainsi que tout le long du joint central. Elles apparaissent très nettement sur les clichés photographiques (voir plus loin), ainsi que les griffes dont la plus grande se trouve à mi-hauteur du tableau et va du personnage portant le mouton, jusqu’au drapé brun de la femme, à l’extérieur droit de la représentation.

Des mastics anciens sont nettement visibles dans la robe du Christ, sur le joint central ainsi que dans la partie supérieure du tableau.
Des tests ont été effectués sur des prélèvements et ont révélé leur composition à base d’eau, tout comme la préparation... la présence de colle protéinique étant fortement probable.

Il semblerait aussi que la teinte de l’habit du Christ révèle un problème de décoloration de pigment, tout comme le personnage masculin de l’avant plan, portant une chèvre noire. Ce pourrait être une décoloration du "Smalt", mais ce n’est là qu’une hypothèse qui permettrait d’expliquer la raison de l’irrégularité de la coloration brune et bleutée.

Histoire de l’Art

Deux mouvements sont à distingués au sein de la même période renaissante :

  • l’un, classique, faisant référence à l’antiquité, qui établira une série de règles conduisant un "Beau" idéal par l’intermédiaire de la forme et de canons préétablis.
  • L’autre viendra ébranler le système conduit jusqu’alors : l’apparition du maniérisme va tout d’abord remettre en question les formes en les soumettant à une mouvance instable. D’autre part, les couleurs chatoyantes feront leur apparition sur les palettes et seront l’objet d’études de plus en plus libre. Formes et couleurs se trouveront alors étroitement liées afin de développer les germes que la renaissance portait en elle.
    C’est l’oeuvre d’un peintre Crétois, fin XVIè , qui sera étudiée et comparée à notre sujet. "El Greco" (1541 - 1614) illustrera "des thèmes chers à la Contre-Réforme qui suivit le concile de Trente ; "les marchand chassé du Temple (...) faisant allusion à la purification nécessaire de l’Église Romaine.

"Les distorsions dynamiques des images du Greco rendirent difficile, pour ses contemporains, la perception de cette fusion des motifs de la dernière Renaissance (rendus méconnaissables par l’interprétation hautement personnelle du peintre), que constituent Les Marchands Chassés du Temple. Les tonalités lunaires de ses tableaux les rendent étranges. Les corps sont rongés et amaigris par la pitié".
LEVEY - M. Histoire de la peinture de Giotto à Cézanne -Arted Editions d’Art Paris 1986).

Formes étirées, couleurs vives osées, dessins approximatifs... nous plongeons au coeur du maniérisme italien, au sein duquel le peintre a dû tirer son inspiration, voir quelques modèles. Une impression, de déjà vu concerne le personnage courbé de l’avant plan à fait l’objet de recherches qui n’ont pas porté leur fruit.

Autres interprétation

D’autres interprétations du Christ chassant les marchands du Temple, trouvées à cette occasion, permettent d’affirmer que cette scène biblique n’était pas uniquement représentée à cette époque, mais déjà depuis le moyen-âge.
Nous allons à présent examiner quelques passages du Nouveau Testament afin de trouver les renseignements utiles à l’analyse de la scène, à la nécessité de certains personnages et éléments.

Certains éléments décrits ci-dessus se retrouvent dans la peinture : la table renversée, les deux scribes qui semblaient se trouver derrière Jesus, les marchands qui s’enfuient. Mais, pour mieux comprendre cette scène, il convient de restituer l’importance du temple à cette époque.
Il faut tout d’abord préciser les différents temples construits. Le premier fût celui de Salomon, en 968 et détruit en 586 avant JC par les soldats venus d’Asie Occidentale. À cette époque, les croyants sont convaincus que Dieu les punit pour leur infidélité, le désordre et les crimes qu’ils ont commis.
Le second est le Temple d’Hérode, construit sur l’emplacement du Temple de Salomon et détruit en 70 pour ne plus jamais être reconstruit.

En ce qui nous concerne, c’est au Temple d’Hérode que nous avons à faire, temple qui possède un sanctuaire identique tandis que les bâtiments extérieurs ont été agrandis.
Le Temple est constitué de parvis, chacun autorisé à certaines catégories de personnes qui doivent respecter ces attributions sous peine de mort.
En partant de l’extérieur du Temple vers l’intérieur nous avons les différents parvis :

  • Le parvis des Gentils : la parité la plus populaire, autorisée au païens
  • Le parvis des Femmes : autorisé aux femmes juives
  • Le parvis des Israélites : autorisé aux hommes
  • Le parvis des prêtres : autorisé aux prêtres
  • Le Saint des Saints : Sanctuaire qui est la partie la plus sainte du Temple.
    Ce parvis est gardé et fermé, c’est un lieu interdit aux profanes.

Autres références au Temple

  • La naissance miraculeuse de Marie : Joachim aurait rencontré Anne devant la Porte Dorée du Temple, Dieu lui aurait suggéré d’embrasser Anne, et de ce baiser serait née Marie.
  • Le mariage de la Vierge au Temple : le Grand Prêtre aurait réuni les hommes de la tribu de Juda dans le Temple. Des baguettes ayant séjourné dans le sanctuaire auraient été remises à ces hommes. De l’une d’elle s’envolerait une colombe, symbole de l’Esprit Saint, désignant ainsi le futur époux.
  • La présentation de Jésus au Temple : c’est ce récit apocryphe qui dit que Dieu aurait promis à un vieillard de ne pas mourir avant d’avoir rencontré le Messie. Lorsque Marie apporta Jésus pour le purifier, le vieillard le pris dans ses bras et transporté de ferveur se mit à chanter un cantique.
  • L’enseignement au Temple  : lorsque Jésus enseignera, c’est au Temple qu’il réunira ses apôtres et les gens de Jérusalem. Lui-même ayant reçu l’enseignement dans le Temple par des prêtres.
N° d’inventaire du Cabin,et des Estampes : SI. 13029

Concernant les représentations de cette scène, trois modèles de compositions sont principalement utilisés :

  • Le modèle centrale : on y voit Jésus en gros plan en train de fouetter les vendeurs se trouvant dans ce qu’on suppose être le Temple. En effet, la perception de la scène est axée sur les personnages. Principalement sur le Christ qui ne laisse entrevoir que quelques détails pouvant signifier le temple, du moins, l’intérieur d’un bâtiment
  • Pour illustrer ce modèle, voici une gravure à la pointe d’Albert Dürer, conservée à la Bibliothèque Royale Albert Ier, à Bruxelle.
  • Un modèle interne situant la scène plus précisément : on peut affirmer avec certitude qu’il s’agit bien de l’intérieur du Temple lorsqu’on se réfère au document écrit.
N° d’inventaire : SIII. 111.925

Une première représentation d’Alexandro Le Rebours, qui aggravé, en 1712, cette reproduction à partir d’une peinture datant de 1682. Elle est conservée dans la même bibliothèque.
L’architecture est beaucoup plus détaillée, on aperçoit les hautes colonnes du portique à l’arrière plan, ainsi que les personnages aux balcons et balustrades. Cet effet de perspective soulignée par la hauteur des colonnes laisse sous entendre une vaste esplanade.
Un détail cependant concernant le Christ : celui-ci ne bat plus les marchands avec une corde, mais avec des baguettes.

Une seconde représentation de Giovanni Paolo Lasino, conservée au même endroit est non datée. Elle renforce la fuite des marchands en indiquant la sortie du Temple ainsi que ceux qui s’y précipitent.

N° d’inventaire : SI. 38215

Comme dans les reproductions précédentes, seuls des hommes et des scribes sont représentés.

Parmi les autres éléments communs entre les scènes nous avons : les chaises ren-versées, les tables basculées, les marchands à terre et ceux fuyants, d’autres battus, les moutons, les oiseaux, les chèvres, la monnaie...

Le modèle externe

La scène se déroule devant le Temple et les attributs présents à l’intérieur du Temple et faisant référence aux marchands sont aussi présents à l’extérieur (table renversée, chèvre, argent...).
On aperçoit enfin les portiques mentionnés dans les Écrits, les colonnes, la colline en arrière-plan...

Pour illustrer, voici une gravure de Michel Wolgemut, probablement du XVè siècle.

Il est amusant de constater les différentes représentations architecturales très "fidèles" aux églises d’Occident.

En plus du traitement des personnages, la façon dont l’artiste traite l’architecture, renseigne sur l’époque, le milieu... et cette évolution stylistique du goût se traduit aussi dans le principe de composition de l’artiste.

Des représentations plus anciennes, datant du XVè siècle, comme celle de Dürer ou de Wolgemut, sont externes, tandis que les plus récentes sont internes.

Ces différents modèles permettent de laisser libre cours à l’expression artistique, de même pour le traitement des personnages. Exclusivement masculins, ceux-ci sont représentés en plus petit nombre au XVè qu’ultérieurement.

Notre oeuvre illustre parfaitement le modèle interne utilisé au XVIIè siècle. Dans ce tableau, figurent les marchands homme, au nombre de 3, et femme, au nombre de quatre.

On retrouve aussi les animaux, la chèvre noire, le mouton et l’oiseau rouge, la table basculée avec la monnaie et les plumes de scribes qui échangeaient l’argent des paysans.
Les deux personnages derrière le Christ sont identifié comme étant des scribes en train de comploter contre le Christ.

Les colonnes et le portique renseignent sur l’architecture et ouvrent sur un extérieur.

Techniques d’exécution

Support

C’est un assemblage de bois, composé de trois panneaux verticaux, coupés dans le sens du fil du bois, et faisant respectivement en largeur :

  • 3 cm. pour celui de dextre
  • 23 cm. pour celui du centre
  • 31 cm. pour celui de senestre

Il existe deux types de débitage en quartier :

  • un qui permet d’obtenir des planches de même épaisseur
  • un théorique, qui forme des triangles qui se rétracteront différemment sur l’épaisseur selon la proximité du coeur du bois. Le retrait, côté coeur, étant moindre que vers l’extérieur du bois, cette zone étant moins dure.

Celui utilisé sur notre tableau est un débitage sur quartiers théoriques. L’assemblage consiste à emboîter les planches l’une dans l’autre, en insérant le côté le plus fin dans le côté le plus épais. Le revers du tableau possède encore les marques de cet assemblage, c’est à dire une légère dénivellation sur la longueur des joints.

Que le fil du bois se trouve dans le sens de la longueur permet de renforcer cette certitude sur le type de débitage et de montage.
Une fois les planches assemblées, l’avers et le revers sont rabotés jusqu’à obtention de surface plus ou moins plane, un des côté étant amélioré par ponçage fin devient la surface à peindre.
Le revers du tableau ne laisse apparaître aucun élément d’assemblage, mais la présence de tenons dans les chants jointifs n’est pas à proscrire. Faute de matériel, il est impossible de faire une radiographie du tableau. D’autre par, les trace du rabotage sont visible dans le sens du fil du bois, au revers du tableau.

Préparation (blanche)

La préparation est maigre et aqueuse, l’échantillon prélevé sur le bord du tableau s’étant parfaitement dissous dans l’eau chaude.

La charge est à base de carbonate (réaction à l’acide formique), mais sa composition exacte n’a pu être précisée avec les méthodes d’analyse dont nous disposions. Cette préparation ne présente pas de problème particulier si ce n’est un manque d’adhérence dans les zones affaiblies par les lacunes, les griffes et les soulèvements.

Dessin

L’impossibilité de radiographier le tableau ne nous permet pas de déterminer avec précision si dessin il y a. Néanmoins, la présence d’incisions rectilignes dans la couche picturale, visibles à l’oeil nu sont accentué lors de l’observation en lumière rasante.

Ces incisions suivent sans exception le pourtour des éléments architecturaux, servant vraisemblablement de guide lors de l’exécution de la peinture. Elles n’apparaissent pas sous les personnages.

Couche picturale

Deux coupes stratigraphiques ont été effectuées en laboratoire avec des écaillages qui ne pouvaient être réintégrés à la couche picturale. L’écaille est immergée dans de la résine et, quand celle-ci est polymérisée, on le coupe dans l’épaisseur, puis, on la polit. Mais les échantillons n’ont apporté aucun renseignement complémentaire.

Par contre un examen attentif d’une lacune lacune Perte de matière picturale nécessitant une réintégration atteignant le support bois permet d’analyser les couches successives d’encollage et de préparation qui recouvrent les canaux du bois.

Les examen traditionnels à l’oeil nu ou sous binoculaire, en lumière naturelle ou rasante, ont permis de déceler :

  • Les incisions dans la couche picturale servant de repère à l’exécution de la peinture
  • Des coups de pinceaux présents dans les empâtements, ceux-ci étant liés à certaines zones
  • colorées (vêtement du Christ turquoise et modelés des corps)
  • Enfin, concernant les empreintes d’outils, on peut envisager deux mises en oeuvre différentes :
    1. Les visages masculins de l’avant-plan sont minutieusement détaillés, les coups de pinceaux sont délicats et précis allant jusqu’à détailler les cils.
    2. En opposition, les visages des femmes du fond sont ébauchés "grossièrement". Est-ce la recherche d’un effet de perspective, d’éloignement, alors que l’architecture, en fond, est parfaitement détaillée ?

Plusieurs hypothèses sont alors possibles. Soit le peintre s’est documenté sur l’architecture, et est plus "laborieux" sur les formes libres du corps. Mais il est tout à fait possible qu’on ait à faire à un "petit maître", à une oeuvre de jeunesse, ou bien encore à une oeuvre collective.

Diagnostic et proposition de traitement

Une restauration complète de l’oeuvre est souhaité par le musée responsable du tableau.

Le traitement proposé actuellement comprend la fixation de la couche picturale fragilisée par des lacunes, des griffures ainsi que tout le long du joint central.
Le démontage des joints ne sera pas nécessaire, ils seront simplement renforcés par des tenons collés sur toute la hauteur des deux joints.

Par contre, un cadre permettant de protéger les arrêtes attaquées et fragilisées par les attaques d’insectes, est à envisager pour faciliter la manipulation du tableau.
Le dévernissage, ainsi que l’élimination des repeints est souhaitable, les teintes étant devenues totalement inadaptées avec le temps, et ne correspondant plus à rien. Les mastic seront préservés, mais remis à niveau et retravaillés. De nouveau mastics seront nécessaires, certaines lacunes étant postérieures aux restaurations précédentes, et étant donc dépourvues de mastic ancien. Enfin vernissage tout au long des étapes de réintégration réintégration L’ expression désigne l’ensemble des opérations nécessaires à reconstituer un manque de l’image. On y distingue le masticage (première opération) qui permet d’une part la mise à niveau de la lacune (manque de peinture et éventuellement de préparation), mais aussi de reconstituer le relief de la peinture ou imprimé en elle (empâtement, coup de pinceau, grains de la toile). .

Tableau sous UV

Les clichés pris sous ultraviolet pour identifiées les matériaux, servent tout au long de la restauration. On peut y voir la majeure partie des retouches anciennes, et particulièrement, celle du joint central. Le vernis est passé de façon irrégulière, au pinceau. On ne remarque cependant aucune différence au niveau de la nature des vernis, même dans le cas des femmes au drapé brun. Cela peut laisser sous-entendre que les modifications de teintes auraient été effectuées en même temps que les restaurations antérieures. Il convient donc de rester particulièrement vigilant durant le nettoyage, celui-ci pouvant donner quelques surprises.

Restauration

Par mesure de sécurité, et afin de consolider les zones fragilisées, il est préférable de refixer toute la surface du tableau.

Pour ce faire, des carrés de papier de soie sont déchirées et appliqués (face brillante en contact avec la couche picturale) puis recouverts d’une fine couche de cire 7-2, fondue à l’aide de la lampe à infrarouge, de façon à ce qu’elle pénètre bien les couches du tableau.
Une fois la surface débarrassée du papier de soie, l’excédent de cire a été enlevé à l’aide de cotons imbibés de white-spirit.

Tout risque de perte de matière étant écarté, les tests de nettoyage peuvent commencer.

Des tests à sec ont précédés toute intervention au solvant. Pour ce nettoyage superficiel, la poudre de gomme a été utilisée, ainsi que de la cendre de cigare.
Les solvants ont ensuite été testés dans des endroits discrets de la peinture, en nous guidant grâce à la liste de Madame Maschelein-Kleiner.

Des essais ont été pratiqués dans les teintes claires des carrelages, situé dans le bas du tableau. Un nettoyage de surface ne suffisait pas à en éliminer les résidus, vraisemblablement emprisonnés entre deux couches de vernis. Un examen sous binoculaire a précisé cette hypothèse.

Pour rétablir l’homogénéité des teintes, il est nécessaire de dévernir le tableau. Après tests, il a été décidé d’utiliser un mélange d’isopropanol, d’ammoniac et d’eau à part égale pour ôter ce vernis d’origine vraisemblablement protéinique.

La démarche a été la suivante : une petite zone a été allégée de son vernis, éliminant de ce fait la saleté et révélant la couleur ternie jusqu’alors. La différence de tonalité et de clarté laissait deviner des teintes qui pourraient être révélées dans d’autres zones recouvertes de ce résidu.

Nous avons donc opter pour l’allégement total du tableau. Au fur et à mesure de l’avancement du travail, les couleurs obtenues devenaient de plus en plus cohérentes entre elle et laissaient apparaître des détails dans les plissés des vêtements et dans les visages.

En allégeant le haut du tableau, les retouches débordantes se sont révélées plus importantes que ce qui était visible sous ultraviolet. Il s’est avéré par la suite que des zones entière avaient été retouchées à l’aide d’un glacis d’une teinte proche.

Le vêtement rouge du personnage masculin, situé au bas du tableau, a également révélé des trace d’usure de la couche picturale, tout comme le personnage vêtu d’un drap jaune.

L’allègement à révélé des traces d’usure en plus des lacunes visibles. Mais il a aussi permis de révéler des détails qui étaient masqués par les glacis de retouches débordantes. De même il a permis de révéler la véritable nature des couleurs, ternies par ces interventions et par la crasse.

Le problème de la couche brune

Enfin, il a mis en évidence un problème majeur en restauration. Lorsque l’allègement s’est porté sur les habits de coloration brune, portés par les deux femmes de droite, le coton à pris la teinte de la peinture, devenant, à la place du jaune de vernis rencontré jusqu’alors, un brun foncé. La zone dégagée paraissait plus fluorescente sous ultraviolet, mais à la lumière du jour... elle était verte. Avant d’entamer le reste du vêtement, il fallait comprendre ce qui se déroulait sous nos yeux. Nous pouvions encore nous limiter à la fenêtre dégagée, ou engager la démarche plus loin, mais il était de toute façon nécessaire d’identifier la nature de ce qui venait d’être mis à jour.

La couche brune pouvait être une couche de glacis à base de pigments verts qui se serait altérée vers le brun. Ce pût aussi être un vernis coloré contenant ou non ce même type de pigments, ou tout simplement un vernis patiné, comme ce fut le cas dans des remises au goût du jour.
Si ce glacis provient du peintre, il est là pour relever l’ombre ou la lumière, selon la technique du peintre, mais n’est pas plaqué uniformément sur l’ensemble du vêtement. De plus, sous la couche brunâtre, on trouve un autre vernis recouvrant la couleur verte, ce qui pourrait sous-entendre une intervention ultérieure au vernissage.

La couche brune ne correspondant en rien avec la technique du peintre, nous sommes rester sur l’hypothèse d’une intervention ultérieure à la création.bSi une tierce personne c’est permise d’ajouter ce glacis, l’a-t-elle fait par choix esthétique ou pour masquer les dégâts existants ? Des sondages situés dans différentes parties de la robe ont permis d’affirmer que la coche picturale sous-jacente était uniformément verte et qu’elle présentait quelques traces d’usure, à peine perceptibles, vu le peu de surface dégagée.

Cette couche brune a donc été éliminée progressivement, avec toute l’attention qu’il convient dans ce genre de circonstance.

Anciens et nouveau mastics

En ce qui concerne les anciens mastic, certains sont simplement retravaillés et d’autres remis à niveau. Les nouveaux mastics sont appliqués sur le bord senestre attaqué par les vrillettes, sur le bas du joint central, ainsi que dans le vêtement rouge à proximité et dans le fond architectural (portique et chapiteau).

Du fiel de bœuf est appliqués sur les zones à mastiquer afin de favoriser l’accroche du mastic maigre, celui-ci étant choisi pour son homogénéité avec les mastics anciens.

La retouche

Une fois l’état de surface des mastics correct, les retouches peuvent commencer.

Les pigments et le vernis à retoucher sont utilisés pour l’ensemble des retouches, mais le mode de traitement diffère entre :

  • le long du bord senestre où j’utilise un tratteggio verticale de teinte neutre
  • pour l’architecture, j’utilise un puntilli en abstraction chromatique, ainsi que pour le joint centrale
  • pour les vêtements, utilisation d’un repiquage ton sur ton, comme pour le fond architecturale qui présente quelques traces d’usure.

Une fois les retouches terminées, un vernis final est appliqué sur l’ensemble de l’œuvre, c’est un vernis mat, composé de cosmoloïd 80 H, dissout dans le toluène et appliqué à chaud au pistolet.

Pour protéger les bords fragilisés par l’attaque des vrillettes, un cadre a été confectionné. Il s’agit simplement d’un encadrement en bois rainuré, dans lequel vient se glisser le tableau.